Il se tient digne et droit. Il contemple la vie qui passe. Que de bonheurs et de peines se sont déroulés devant lui.
Pourtant il continue de vivre, en silence, sous le regard médusé des visiteurs.
Il force le respect, du haut de ses deux mille ans passés. Et pourtant, il est parqué. C’est le triste sort de nos aïeux. On passe le voir, quelques minutes ou quelques heures. On l’observe, on en fait le tour et on le photographie parfois, et puis on s'en va.
Mais alors qu'il est là devant moi, comment ne pas vouloir connaître ses secrets ?
Savoir ce qu’il a vu. Les guerres, les mariages, les morts, les cynismes, les changements... Il précédait tout ce que nous connaissons, et à l’échelle de nos vies, il est là depuis toujours.
Il sent fort. Il sent le passé, le présent, et le futur. Combien avant moi de personnes ont-elles humé son délicat parfum boisé? Et combien encore après moi ?
Les légendes à son sujet sont innombrables. On dit que les aborigènes le vénéraient, qu’ils l’ont sauvé des griffes des cyniques marchands. Mais lui seul connaît les siècles et leurs vérités. Nous ne pouvons qu’imaginer.
Face à cet arbre de plus de deux mille ans, immense, je ressens la petitesse et l’étroitesse de mon espèce, et de ma vie aussi. Quelle drôle de race supérieure que l’être humain, tellement éphémère qu’elle se rit de son futur. Avec ses destins d’un siècle à peine, que lui importe le lointain?
Face à cet être d'un autre âge, sans prévenir, je sens ma conscience s’envoler, prendre de la hauteur et regarder l’instant depuis le haut de ses branches comme si elles étaient miennes. De là-haut, j’observe le chaos, l’asphalte qui entoure mon large tronc. Je sens les échappements quand j'inspire. L’oxygène que j'expire. Je vois les hommes s’affairer, essayer de contenir une drôle d'épidémie… Et au loin, le ronronnement des tronçonneuses...
Je prends conscience de la vie colossale de cet être végétal. De son passage au travers les siècles, à travers les guerres et les maladies. Je ressens toute la violence de ce stoïcisme, de cette contemplation au travers des millénaires, de ces légendes inventant un monde datant tout au plus de son adolescence d'arbre. Et tout à coup, je comprends mieux.
Je comprends son écorce noueuse, son calme, sa stature.
Et me revient alors comme une évidence cette phrase que prononce parfois mon amoureux.
Il faut peut-être, pour traverser les siècles digne et droit, "laisser glisser les histoires du monde sur soi comme une goutte d'eau sur une feuille de bananier".
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